Qu’en pensent les abeilles grises ?

Qu’en pensent les abeilles grises ?

Qu’en pensent les abeilles grises ?

Un sentiment étrange

Plus nous remontons dans le passé, plus nos souvenirs sont troubles, flous et imprécis. Ils sont même souvent partiellement transformés par le temps. Prenons l’exemple des souvenirs de famille.
Excepté pour les orphelins, nous connaissons tous nos parents. Nous connaissons leurs métiers, leurs activités préférées, leurs loisirs… Parfois, nous le savons trop bien pour les avoir supportés trop longtemps !
De nos grands-parents, si nous savons quels étaient leurs métiers, déjà, la réalité du quotidien de ce métier est plus floue, car l’époque était bien différente.
Et pour nos arrières-grands-parents, c’est le brouillard. Sans archives familiales, photos, récits, sans la parole transmise, impossible de se rendre compte de leur quotidien. Et encore, la parole transmise est souvent déformée, ou alors l’époque était tellement troublée qu’il nous est impossible d’en prendre la mesure.

Lorsque j’interrogeais ma grand-mère sur la seconde guerre mondiale, elle finissait toujours par me dire, « mais de toute façon, vous ne pouvez pas vous rendre compte…»

Au moment où la guerre en Ukraine éclate, j’ai un sentiment étrange…

Pas facile de discuter avec les anciens…

Ce n’est pas facile de discuter avec les anciens de ces périodes troublées parce que, parfois, ça leur fait mal, cela fait remonter des moments terribles, des moments de peur intense. 

En février 1991, lorsque l’armée américaine lance son offensive dans le désert d’Irak, la télévision diffuse les premières images de missiles tirés depuis leurs batteries. La mise à feu est impressionnante. Depuis un mois, il ne se passait rien malgré une importante couverture médiatique. A cette période, je suis en vacances chez ma grand-tante, dans les Vosges, à Gérardmer.

Au moment précis où les missiles apparaissent sur l’écran de télévision, je vois ma grand-tante de  presque 90 ans (elle est née en 1902) se plier en deux et plonger son visage dans ses mains comme pour soustraire ses yeux à la vue des missiles. Sur le coup, je suis surpris. Je ne comprends pas son désarroi. Lorsqu’elle se relève, son visage est défait, elle est en panique et elle dit : « Ça recommence, ça recommence… »

Devant elle se dressent une fois encore les fusées allemandes V2. Elle entend le bruit sourd des canons et des bombardiers qui passent au dessus des forêts vosgiennes.

Elle redit : « Ça recommence, ça recommence… » 

Elle ne me parle pas, elle se parle à elle-même. Je pose une main sur son épaule et je tente de la rassurer en lui disant que l’Irak est un pays lointain. Je crois lui avoir dit de ne pas s’inquiéter, qu’elle ne connaîtra plus la guerre. Aujourd’hui, elle est partie.

Au moment où la guerre en Ukraine fait rage, j’ai un sentiment étrange…

Rien ne devient jamais réel tant que…

Ma grand-tante était un personnage hors du commun. Clémence était une fille du siècle. Née en 1902, elle était assez grande pour se rendre compte des atrocités de la Grande Guerre, la première guerre mondiale, et elle était dans la pleine force de l’âge lorsque Hitler envahit la Pologne, l’Autriche, la Tchécoslovaquie, et la France en passant par la Belgique. Tiens, tiens… L’envahisseur passe toujours par le nord.

Elle nous a laissé un trésor inestimable. Un carnet de souvenirs d’une cinquantaine de pages, relatant sa vie, son enfance, les périodes troublées par les guerres, des moments de joie comme des moments de peine. Je me suis inspiré de ses souvenirs pour écrire le roman (Une semaine formidable) inscrit dans le contexte historique des prémices de la seconde guerre mondiale. L’attaque du village de Xonrupt-Longemer par les allemands en juin 1940 en est un exemple. Elle y était et les balles de l’ennemi de l’époque ne sont pas passées loin. Ecrire et se plonger dans le passé d’autres personnes est un processus très immersif. Lors de l’écriture, j’étais obsédé par l’idée, non pas de « vérité historique », mais par l’idée de l’authenticité qui donnera au récit un réalisme teinté de cette distance qu’impose le temps.

Au moment où la guerre en Ukraine déclenche le déplacement de plusieurs millions de réfugiés, j’ai un étrange sentiment de déjà vu, presque de déjà vécu. Mais comme disait ma grand-mère, « vous ne pouvez pas vous rendre compte… »

« Rien ne devient jamais réel tant qu’on ne l’a pas ressenti… » dit le poète John Keats.

Alors, qu’en pensent les abeilles grises ?

Ma grand-tante Clémence, on la surnommait « Titi » parce qu’elle avait un tablier de cuisine à l’effigie de « Titi et Grosminet ». C’est resté, comme ses souvenirs resteront sur les pages d’un livre. A la fin de la seconde guerre mondiale, les allemands ont quitté Gérardmer en laissant un terre brûlée, une ville détruite à 85%. Les allemands ont incendié la maison familiale et détruit l’outil de travail de son père, une scierie, comme ils ont détruit la plupart des ateliers de la ville de Gérardmer. Clémence et toute sa famille ont reconstruit la scierie, leur maison, mais ce fut difficile. Son frère, déjà fragilisé par son expérience de la guerre du Maroc (1925-1926), ne s’en est jamais remis, tétanisé par la peur d’une troisième guerre mondiale.

Au moment où la guerre en Ukraine voit se multiplier les drames humains il n’est peut-être pas inutile de rappeler ceux vécus par nos aïeux.

Merci Clémence, merci Titi de nous avoir transmis tes souvenirs.

Aujourd’hui, imagine-t-on une guerre entre la France et l’Allemagne ? Non, et pourtant, le XXème siècle fut marqué par deux guerres mondiales. Et au XIXème siècle, la défiance entre la France, la Prusse et les Etats allemands, aboutit à la guerre de 1870.

Alors pourquoi une guerre franco-allemande est-elle aujourd’hui impensable ? Accords, traités politiques et économiques ? Peut-être mais bien avant la politique, des raconteurs d’histoires se sont emparés du sujet pour… d’abord faire réfléchir sur l’absurdité des conflits, pour faire rire et tourner les dictateurs et autres va-t-en-guerre en ridicule. L’humour et la dérision sont les armes les plus efficaces contre les conflits. La grande vadrouille (1966) et La 7ème compagnie (1973) sont les piliers de l’amitié franco-allemande ! Le dictateur (1940) de Chaplin aussi, et bien d’autres…

Le dernier roman d’Andreï Kourkov

Espérons que les russes et les ukrainiens s’empareront de leur histoire. C’est en partie déjà fait puisque Andreï Kourkov vient de publier son dernier roman, l’histoire d’un apiculteur loufoque qui cherche refuge pour ses abeilles lors du conflit en Crimée. Un roman plein d’humanité et truffé d’humour déjanté comme d’habitude : Les abeilles grises, éditions Liana Levi.

1984 – Retour vers le futur proche

1984 – Retour vers le futur proche

Retour vers le futur proche  – 1984

1984 – George Orwell

1984 (titre en anglais Nineteen Eighty-Four) est le plus célèbre roman de George Orwell, publié en 1949. Trente ans après une guerre nucléaire entre l’Est et l’Ouest censée avoir eu lieu dans les années 1950, la Grande-Bretagne voit s’instaurer un régime de type totalitaire inspiré à la fois du stalinisme et du nazisme. La liberté d’expression n’existe plus. Toutes les pensées sont minutieusement surveillées et d’immenses affiches sont placardées dans les rues, indiquant à tous que « Big Brother vous regarde » (Big Brother is watching you).
 
Dans ce conte philosophique sur le pire totalitarisme, parabole du despotisme moderne, Orwells’est clairement inspiré du nazisme, du fascisme et du stalinisme, avec le parti unique, son chef et le culte de la personnalité, la confusion des pouvoirs, des plans de production triennaux, un militarisme de patronage et sa propagande, des files d’attente devant les magasins, des camps de rééducation, des confessions publiques et des affiches géantes.
Et des slogans niant même le sens de la langue :
• « La guerre, c’est la paix. »
• « La liberté, c’est l’esclavage. »
• « L’ignorance, c’est la force. »
 
Big brother est l’un des personnages principaux de ce roman, le chef suprême du régime totalitaire. Un personnage invisible, mais qui sait tout grâce aux télécrans, un système de vidéosurveillance et de télévision, qui diffusent en permanence les messages du Parti.
Les télécrans permettent à la police de la Pensée d’entendre et de voir ce qui se fait dans chaque pièce de chaque maison, de chaque appartement.
À la suite du succès du roman, Big Brother est devenu une expression représentant l’État policier, et la perte des droits individuels de la population.
 
Orwell a lui-même précisé le sens de son message : « Faites en sorte que cela ne se produise pas. Cela dépend de vous. »

Merde, qu’est-ce qu’on a raté ?

Beaucoup de commentaires parlent de l’intérêt prophétique de l’œuvre d’Orwell. Si nous avons vu l’étalage de nos pensées, nos avis, nos likes, se multiplier sur nos télécrans de smartphones, nous n’avons pas vu la montée du Big Bad Brother pourtant annoncée par Boris Eltsine, il y a si longtemps.

Au moment où l’histoire bégaye, les Russes qui ne veulent pas la guerre prennent conscience d’une chose : dans trois mois, ils vivront comme en 1984. Et qui sait si dans six mois, ils revivront la terreur sous Staline, un retour en 1948. A Moscou, la peur et la paranoïa sont déjà présentes dans les regards, la tête, le ventre et le cœur.
Les Russes qui ne veulent pas la guerre vivent leur 11 septembre. Qu’ont-ils fait pour éviter cela ? Que pouvaient-ils faire pour éviter cela ? Ne leur jetons pas la pierre, nous avons notre lot d’erreurs. Nous sommes dans une nouvelle guerre d’informations.
« L’arme la plus puissante est la vérité », a dit Andreï Sakharov.
S’il est indispensable de soutenir les ukrainiens dans leur résistance, comment soutenir les Russes qui vivent comme Winston Smith, prisonnier de la propagande d’un régime totalitaire ?

Je vous invite à lire, ou relire 1984. Dans ces pages d’une autre époque, il y a le goût amer de ce que vivent aujourd’hui les Russes, enfin ceux qui n’ont pas le cerveau retourné par la propagande du Big Bad Brother.

Les inspirations de George Orwell :

George Orwell a indiqué que son roman 1984 s’inspirait d’un ouvrage de l’écrivain russe Evgueni Zamiatine intitulé Nous autres.
George Orwell s’est également inspiré de La Kallocaïne17, dystopie de la Suédoise Karin Boye, publié en 1940, qui pose le problème de la confiance, de la délation et de la trahison des proches dans un régime totalitaire.

Han d’Island, monstre premier de Victor Hugo

Han d’Island, monstre premier de Victor Hugo

Le premier monstre d’Hugo, Han d’Island…

Han d’Islande est un roman gothique de Victor Hugo, publié en 1823. Victor Hugo le commence très tôt, lorsqu’il a 19 ans. On peut donc vraiment considérer qu’il s’agit de son premier roman.

Originaire d’Islande, Han est un brigand sanguinaire qui sème la terreur dans la Norvège de 1699.

Extrait :

« Une tête effroyable se leva de l’autre côté de l’autel druidique, avec des cheveux rouges et un rire atroce. Le monstre sortit entièrement de dessous l’autel et montra ses membres trapus et nerveux, ses vêtements sauvages et sanglants, ses mains crochues et sa lourde hache de pierre.

Le petit homme, debout sur l’autel, comme une statue sur son piédestal, semblait une des horribles idoles qui, dans les siècles barbares, avait reçu dans ce même lieu des sacrifices impies et de sacrilège offrande.

Son affreux visage présentait une bouche sanglante et des dents de bête fauve. Il ne parlait plus ; aucune parole humaine ne s’échappait de son gosier pantelant ; un mugissement sourd, entremêlé de cris rauques et ardents, exprimait seul sa rage. C’était quelque chose de plus hideux qu’une bête féroce, de plus monstrueux qu’un démon : c’était un homme auquel il ne restait rien d’humain. »

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Ce Han est absolument misanthrope, il déteste l’humanité et bien qu’étant homme, il boit le sang de ses victimes humaines dans un crâne (on est bien dans le style gothique).

Alors, est-ce le mal absolu que Victor Hugo aurait voulu nous dépeindre ?

Pas tout à fait, car Han d’Island a des raisons d’être méchant et un vrai lien à l’humanité. 

Dans le passé, le brigand a violé une femme et il a un fils. Han d’Islande aime ce fils, mais celui-ci est assassiné par un soldat.

Le roman commence par une scène à la morgue très vive, riche de dialogues, digne d’une série américaine. On se demande quelle est l’identité du cadavre car son visage a été mutilé, pour découvrir plus tard qu’il s’agit du fils de Han. Pourtant, les personnages présents dans la morgue attribuent le crime au fameux brigand. Il y a donc tout un discours sur ce Han d’Island, et on apprend que parmi ses méfaits, il a brûlé le toit de la cathédrale. Encore une fois, l’a-t-il fait par pure méchanceté ? Non, pas tout à fait. Il se trouve que son fils travaillait dans une mine de cuivre, et que les ouvriers de cette mine n’avaient pas de travail. Reconstruire la toiture de la cathédrale allait donner du travail à tous les ouvriers de la mine. Le fils mort, Han tue tous les soldats de la garnison qui a participé à l’assassinat de son fils.

Han vole le cadavre de son fils et en conserve le crâne dont j’ai parlé plus haut pour boire le sang de ses victimes.

Avouez aussi que le portrait qu’en fait Victor Hugo révèle une profonde animalité !

Han d’Island ne vit pas seul. Il partage la vie d’un ours qu’il appelle Friend, un ami dont il prend le plus grand soin, au point de lui porter secours alors qu’il avait l’occasion de tuer le héros du roman.

Victor Hugo démontre ainsi que la misère engendre bien souvent les pires extrémités.

Han d’Island est un roman peu connu, pourtant très vif et intéressant car il annonce un grand nombre de thèmes que Victor Hugo traitera dans ses futurs œuvres (Notre-Dame de Paris, L’homme qui rit).

Vols au crépuscule

Vols au crépuscule

Vols au crépuscule

Helen Macdonald est autrice, naturaliste, poète, illustratrice et chercheuse au département d’Histoire et Philosophie des Sciences à l’Université de Cambridge. Son livre, ‘Vols au crépuscule’ se présente comme un recueil d’essais entre souvenirs personnels, pensées intimes et descriptions naturalistes de la faune et de la flore.

Des oiseaux migrateurs par dizaines de milliers au dessus des grattes-ciel de Manhattan. Les métropoles ne déroutent pas passereaux et hérons bihoreaux de leur chemins saisonniers. Central Park fait d’ailleurs partie de leurs étapes de repos. 

Helen Macdonald nous raconte avec poésie ses observations dans divers endroits du globe et des souvenirs d’enfance, plus intime.

L’évocation d’une prairie où elle jouait enfant, et déjà observait la nature dans toute sa diversité, est l’occasion de partager une vision de l’écologie où le milieu naturel n’a surtout pas besoin de l’homme pour s’exprimer. Retrouvant des années plus tard cette prairie, tondue comme un parcours de golf, elle fond en larmes. Le tapis vert frôle la perfection mais il n’abrite plus les insectes, les oiseaux qu’elle y avait observés lors de son enfance. Plus qu’une perte nostalgique, il s’agit pour Helen Macdonald de témoigner de la disparition d’espaces de vies. L’homme passe son temps et dépense son énergie à façonner le monde comme il voudrait qu’il soit, ignorant tout de sa richesse intrinsèque. L’homme qui a tondu le pré n’a pas agit par méchanceté, mais par ignorance. Voilà pourquoi il faut témoigner.

Les martinets pèsent quarante grammes et passent la majeure partie du temps en vol. Ce sont des êtres célestes qui vivent en communauté. Ils s’envolent au crépuscule et dorment à des altitudes vertigineuses. Difficile de les observer. Des découvertes récentes ont montré que les martinets montent en nuée, et sont attentifs aux autres membres de la communauté céleste pour prendre les bonnes décisions afin de s’orienter correctement. 

« Il est probable qu’ils opèrent selon ce qu’on appelle la ‘sagesse des foules’, à savoir qu’ils font la moyenne de leurs mesures individuelles pour affiner leur navigation. En groupe, la mise en commun des informations améliore les décisions. »

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Vols au Crépuscule d’Helen MACDONALD,
parution en 2021 aux Editions Gallimard.
Traduit de l’anglais par Sarah Gurcel.
Illustration – Owen Davey

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Helen Macdonald raconte des expériences inoubliables qu’elle nous invite à vivre avec la même acuité : contempler une éclipse totale, partir sur les traces d’oiseaux rares, observer les nids.

Dans les forêts de Sibérie…

Dans les forêts de Sibérie…

Livre, film, musique, opus aux grands espaces

Livre de Sylvain Tesson, film d’aventure franco-russe réalisé par Safy Nebbou et une magnifique musique composée par Ibrahim Maalouf.

Invitation au voyage

Une musique pour méditer, voyager, travailler…
Et aussi s’interroger sur ce que la nature nous dit.

Eté 2019, chaleur caniculaire en Europe, mais aussi en Sibérie.

Des feux gigantesques ravagent des millions d’hectares de forêt en Sibérie depuis plusieurs semaines. Les fumées de ces incendies s’étendent sur des milliers kilomètres, au point d’intoxiquer l’air de centaines de villes russes, dont les très peuplées Novossibirsk et Ekaterinburg.

Provoqués par des facteurs naturels comme des orages secs et une chaleur « anormale » de 30 C° dans l’une des zones les plus froides du monde, les feux sont nourris par des vents forts. Si, tous les ans, des incendies de forêt dévastent de grandes étendues isolées de Sibérie, leur ampleur cette année atteint un niveau exceptionnel, avec plus de 300 feux dénombrés. Malheureusement, ce n’était qu’un prélude…

La Sibérie arctique a enregistré de nouveaux records de chaleurs en juin 2020, avec des températures de 38°C. La Sibérie suffoque et c’est désormais la triste vitrine du changement climatique.

Dans les forets de Siberie : un livre, un film, une bande originale
Forets de Sibérie - désolation après les incendies destructeurs dus au réchauffement de la région
Forets de Sibérie - incendies destructeurs dus au réchauffement de la région
Forets de Sibérie - feux et incendies destructeurs dus au réchauffement de la région
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Héritage, botanique et gravillons…

Héritage, botanique et gravillons…

Une seule Rose…

L’histoire d’une emmerdeuse au bac à sable.

Réducteur, bien sûr…

Suite au décès d’un père qu’elle n’a pas connu, Rose débarque au Japon pour la première fois. Son père lui laisse une lettre, et l’idée lui semble assez improbable pour qu’elle entreprenne, à l’appel d’un notaire, ce voyage à l’autre bout du monde.

Muriel Barbery peint admirablement l’âme esseulée et orpheline, de Rose, une fleur qui manque d’eau et de fraîcheur. Une déambulation à travers Kyoto, ses temples zen et ses mornes quartiers d’immeubles vont lui faire découvrir, peu à peu, ses propres pétales et ses racines. Un père, marchand d’art, qu’elle n’a jamais connu.

Les contes sont là ! Au début de chaque chapitre, un conte très court nous emmène dans le passé mythologique du Japon et font écho au parcours de Rose. Un culture que Rose découvre, comme elle se découvre elle-même. Rose a un cœur de rose, des pétales fragiles, délicatement soyeux et légèrement fripés, peut-être enserrés dans ce corset invisible qu’est l’inaptitude au bonheur.

Délaissée par un père invisible, elle héritera malgré elle de ses doutes et de son amour distant, de l’amertume aussi. Les rencontres avec un poète alcoolique, une anglaise blessée, et bien sûr Paul, le jeune collaborateur belge du défunt père, vont bouleverser sa vie. C’est ce dernier qui est chargé de promener Rose de temple en temple, comme il emmènerait une fille trop gâtée au bac à sable. Ce n’est qu’au terme de ce parcours que Rose pourra lire la lettre que son père lui a laissée.

Rose est botaniste et découvre le Japon à travers ses jardins, ses temples, un art de vivre qu’elle ne comprend pas. Une botaniste qui redécouvre Rose, les jardins secrets du Japon, la magie du Prunier, la boucle est bouclée.

Le parcours initiatique empreint de spiritualité, à travers la mythologie du Japon, amène Muriel Barbery à décrire avec la pus grande délicatesse l’errance du cœur de Rose qui s’ouvre, petit à petit, à la vie. Rose est par moment exaspérante, maladroite et agressive (bref, une belle emmerdeuse comme le dit Paul) mais il ne faut pas la lâcher.

Citons…

« Le Japon est un pays où on souffre beaucoup mais où on n’y prend pas garde, dit l’Anglaise. Pour récompense de cette indifférence au malheur, on récolte ces jardins où les dieux viennent prendre le thé. »

On y retrouve la poésie de Issa :

« Nous marchons en ce monde

sur le toit de l’enfer

en regardant les fleurs »

Citons encore…

« …Issa, le poète magnifique, n’y allait (dans un Temple populaire) que lorsque les bois des arbres étaient encore noirs et nus, dépourvus des fleurs qui, plus tard, embaumeraient alentour. Dès l’apparition de la première corolle, il quittait le carré cependant que ses pairs venaient admirer le miracle des pétales jetés sur les branches hivernales. Quand, parfois, on s’inquiétait de ce goût qui le privait de la plus belle floraison de l’année, il riait et disait : J’ai attendu longtemps dans le dénuement, à présent la fleur de Prunier est en moi. »

Muriel Barbery
EAN : 9782330139223
160 pages
Éditeur : ACTES SUD (19/08/2020)

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Voici un aperçu des temples de Kyoto visités par Rose.

Les villes de la plaine

Les villes de la plaine

Le charme des contes d’Orient…

Diane Meur nous livre un roman entre le péplum et le mythe philosophique. 

Les villes de la plaine ou une civilisation réinventée…

Ordjéneb débarque de ses montagnes dans la cité d’une civilisation antique imaginaire où la vie sociale est dictée par des lois bien établies. Maladroit et ignorant les codes, il se retrouve au service du scribe, Asral, qui à la charge de recopier les lois d’Anouher, les lois ancestrales de la cité de Sir. Entre le scribe, érudit et austère, et Ordjéneb, son garde du corps, une amitié se noue au point que le scribe décèle l’intelligence pratique du montagnard et lui demande conseil. Et le montagnard de s’étonner de certaines formulations des lois de la cité. La travail de copie d’Astral devient une quête de vérité sur le véritable Anouher. Qui était-il vraiment ? D’où venait-il ? Le scribe Astral se rend vite compte que les lois originelles ont été biaisées au profit de ceux qui détiennent le pouvoir. Il doit se méfier. La cité de Sir tient à son équilibre social basé sur ces lois, tandis qu’à l’autre bout de la plaine, la cité rivale est plus libérale, moins hiérarchisée. Fuyant l’une pour l’autre, il découvre dans l’autre cité, une dictature et la disgrâce de son protecteur l’oblige de fuir à nouveau. Grâce aux habitants de Sir qui ont conservé certaines archives troublantes, il découvre aussi le vrai visage d’Anouher…

Les villes de la plaine de Diane Meur

Ludwig Deutsch, Une recherche littéraire, 1901.

Qu’est-ce qui peut bien faire disparaître une cité entière ?

Le lecteur suit le quotidien des personnages dans la cité grouillante de vie. Le personnage d’Asral nous offre une réflexion sur l’interprétation des lois dictées par ceux qui gouvernent.

“Tout ce que décident les juges se fait au nom d’un Anouher qui n’a plus guère à voir avec le vrai. Dont la parole a été sanctifiée, mais en même temps trahie, détournée de sa lettre. Un Anouher dont la véritable nature a été occultée par une dévotion aveugle, et par l’escamotage de documents gênants.”

Dans ce livre, nous suivons les fouilles d’archéologues allemands sur le site de la cité de Sir. Les savants donnent du sens à ce qu’ils voient avec le prisme de leurs représentations, de leurs mentalités, et leur interprétation est bien sûr très loin de la réalité des habitants de Sir. Or, cette citée antique, autrefois sublime, semble avoir disparu d’un coup.

Le lecteur suit à la fois la quête de sens d’Asral qui tente de reconstituer le vrai message d’Anouher et les recherches des archéologues qui, eux aussi, ré-interprètent le passé.

Diane Meur nous interroge sur la pérennité des lois, des textes, leur falsification par les puissants, la quête de sens des savants, des érudits et des plus humbles dans une civilisation antique réinventée avec talent qui rappelle l’ambiance des contes d’Orient.

Les villes de la plaine.
Diane Meur – Editions Sabine Wespieser

Les villes de la plaine, le charme des contes d'Orient - couvertures
Les villes de la plaine, le charme des contes d'Orient
Peinture Deutsch - le charme des contes d'Orient
Peinture Deutsch - le charme des contes d'Orient
Peinture Deutsch - le charme des contes d'Orient
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Les œuvres de Ludwig Deutsch illustrent à merveille l’ambiance des contes d’Orient.

Le dernier royaume…

Le dernier royaume…

Serial Writer, ce Pascal Quignard.

Tous les genres se succèdent dans les très nombreux chapitres, contes, notes, listes, essais, fragments de romans, journal, etc.

Portrait

Le sujet de Pascal Quignard, depuis qu’il a entamé le cycle nommé Dernier Royaume, tourne autour du passé lointain et figé (le Jadis), du passé en mouvement (le sien propre et récent), du conte, du langage : « Dire que nous sommes des êtres de langage, comme le fait la société, est profondément faux. […] Nous ne sommes pas des êtres parlants, nous le devenons. Le langage est un acquis précaire, qui n’est ni à l’origine ni même à la fin car souvent la parole erre et se perd avant même que la vie cesse. »

Résumer Pascal Quignard est vain et impossible. Je peux juste dire qu’il est fait pour ceux qui traversent l’existence comme une errance, non due au hasard, mais provoquée par l’attirance du perdu. Il faut donc être curieux de tout ce que le temps essaie d’effacer, le revivre en rêve et le transformer en souvenirs sublimes, ces fragments de mémoires que deviennent les histoires. Il n’est pas de nostalgie dans les lignes de Pascal Quignard, car le passé est une friche d’enchantement. Et redécouvrir, c’est découvrir à nouveau avec la même jubilation, même et surtout lorsqu’il « dégage de la poussière ces cendres ».

Le dernier royaume - vie secrète

J’ai trouvé un excellent commentaire sur l’œuvre de Pascal Quignard, ici.

10 Volumes

Le dernier royaume compte aujourd’hui dix volumes, mais ce n’est certes pas fini !

Les Ombres errantes (Dernier Royaume, tome I), éditions Grasset, 2002 (Prix Goncourt 2002)

Sur le jadis (Dernier Royaume, tome II), Grasset, 2002

Abîmes (Dernier Royaume, tome III), Grasset, 2002

Les Paradisiaques (Dernier Royaume, tome IV), Grasset, 2005

Sordidissimes (Dernier Royaume, tome V), Grasset, 2005

La Barque silencieuse (Dernier Royaume, tome VI), Le Seuil, 2009

Les Désarçonnés (Dernier Royaume, tome VII), Grasset, 2012

Vie secrète (Dernier Royaume, tome VIII), Gallimard, 1997, repris en poche chez Folio-Gallimard, 1999

Mourir de penser (Dernier Royaume, tome IX), Grasset, 2014

L’Enfant d’Ingolstadt (Dernier Royaume, tome X), Grasset, 2018, 272

A lire aussi :

La haine de la musique

« Quand la musique était rare, sa convocation était bouleversante comme sa séduction vertigineuse. »

Le nom sur le bout de la langue

« Une jeune femme promet à un homme de retenir son nom. Un jour ce nom lui fait soudain défaut. Ce défaut lui brûle les lèvres. Le désespoir la gagne. »

Le nom sur le bout de la langue
Le dernier royaume - vie secrète
Les désarçonnés
Le dernier Royaume - la barque silencieuse
Le dernier Royaume - Sordidissime
Le dernier Royaume - Sur le jadis
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Le jeune chanteur de Georges de la Tour illustre « le nom sur le bout de la langue ».
La lecture de Henri Fantin-Latour illustre le tome VIII – La vie secrète.
L’hiver ou le déluge de Nicolas Poussin illustre le tome VI – La barque silencieuse.

Le jardin étincelant…

Le jardin étincelant…

Archaos de Christiane Rochefort…

Roman paru en 1972, à l’époque où les intellectuels se sont épris d’anarchie et de liberté sexuelle.

Un conte (pour adultes) jubilatoire nous décrit les aventures du roi tyran nommé Avatar qui cherche descendance, souverain déjanté autour duquel gravitent d’innombrables personnages tout aussi délirants. Dès les premières pages, on hurle de rire, mais les suivantes, on ne sait plus… seul un cri d’effroi peut échapper de la bouche du lecteur, car les uns passent du meurtre au viol des autres, sans jugement moral puisque tout, dans le royaume d’Archaos, échappe à cette notion. Le tyran est bientôt remplacé par son fils, un sympathique incapable, qui sabote la dictature et fait découvrir aux Archaotes les vertus du désordre. C’est le début d’une période bénie (soixante-huitarde) où les performances sexuelles sont scientifiquement mesurées par la mère maquerelle-en-chef, mais…

Bientôt viennent les questions, les déboires et les doutes. Comme les personnages ne semblent  pas avoir goûté le fruit du péché originel, toutes les avanies sont pardonnées dans un raisonnement par l’absurde. Le ton du récit est teinté d’ironie et d’humour noir ou rouge sang, un vrai délice dérangeant pour la morale bien-pensante. Tout arrive en Archaos, même Jésus, alias Jérémias (au début du chapitre 7, troisième partie). « J’ai tant soif de toi, dit-il » à Avanie, son amour, après avoir été secouru par des bergers alors qu’il revenait comme un ombre (d’entre les morts?) le flanc percé.

Démonstration faite que l’art du chaos, peut-être l’anarchie, c’est vraiment le bordel, même dans un Jardin Etincelant, peut-être l’Eden. Le paradis chahuté d’Archaos (parfois très proche de l’enfer pour certains des personnages) finit par s’évaporer comme un rêve dont il reste l’ivresse de sentiments aussi puissants que l’amour, la joie de voir le soleil se lever et l’alouette monter.

Une fois le livre fermé, le lecteur, lui aussi, est expulsé d’Archaos, comme Adam et Eve du Paradis, comme le nouveau-né du ventre de sa mère. Après, il faut prendre la première inspiration, et crier.

Le style est moyenâgeux et sublime, une vraie leçon d’écriture.

La réputation d’écrivain contestataire et iconoclaste ne quittera jamais Christiane Rochefort !

Partie centrale de l'œuvre de Jérôme Bosch, le jardin des délices.

Partie centrale de l’œuvre de Jérôme Bosch, le jardin des délices.

L’homme qui savait la langue des serpents…

L’homme qui savait la langue des serpents…

Une fable délirante moyenâgeuse ou actuelle?

Parmi les chocs littéraires qui font date, il y a ce récit, cette fable délirante d’Andrus Kivirähk : L’homme qui savait la langue des serpents.

C’est le récit de la perte d’un Eden sauvage, peuplé de personnages loufoques, empreint de réalisme magique et d’un souffle inspiré des sagas scandinaves. L’Homme qui savait la langue des serpents révèle l’humour et l’imagination franchement délirante d’Andrus Kivirähk.

Le livre

Publié en 2007 en Estonie, il est traduit et publié en France en 2013.

Dans une époque médiévale réinventée, le roman retrace la vie peu banale d’un jeune homme qui, vivant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître et la modernité l’emporter. Une fable? Oui, mais aussi un regard ironique sur notre propre époque.

Voici l’histoire du dernier des hommes qui parlait la langue des serpents, de sa sœur qui tomba amoureuse d’un ours, de sa mère qui rôtissait compulsivement des élans, de son grand-père qui guerroyait sans jambes, de son oncle qu’il aimait tant, d’une jeune fille qui croyait en l’amour, d’un sage qui ne l’était pas tant que ça, d’une paysanne qui rêvait d’un loup-garou, d’un vieil homme qui chassait les vents, d’une salamandre qui volait dans les airs, d’australopithèques qui élevaient des poux géants, d’un poisson titanesque las de ce monde et de chevaliers teutons un peu épouvantés par tout ce qui précède.

A lire aussi…

Les Groseilles de novembre démontre un peu plus les talents de conteur de l’écrivain. Nous voici cette fois-ci immergés dans la vie quotidienne d’un village où tout pourrait sembler normal et où, très vite, plus rien ne l’est. Les seigneurs sont dupés par leurs serfs, des démons maraudent, des vaches magiques paissent sur les rivages, les morts reviennent, le diable tient ses comptes, une sorcière prépare ses filtres dans la forêt et, quotidiennement, les jeux de l’amour et du désir tirent les ficelles. À la fois drôle et cruel, le texte relève autant de la farce que de la chronique fantastique. Les Groseilles de novembre est considéré en Estonie comme le meilleur roman d’Andrus Kivirähk.

Portrait

Andrus Kivirähk est un écrivain estonien né en 1970 à Tallinn. Véritable phénomène littéraire dans son pays, romancier, journaliste et essayiste, il est l’auteur d’une oeuvre déjà importante qui suscite l’enthousiasme tant de la critique que d’un très large public, qui raffole de ses histoires. Andrus Kivirähk écrit des romans et des nouvelles, des pièces de théâtres, des textes et des scénarios de films d’animation pour enfants.

Remarquez la qualité de l’illustration de couverture de Denis Dubois.

Kivirahk : l'homme qui savait la langue des serpents