Archaos de Christiane Rochefort…
Roman paru en 1972, à l’époque où les intellectuels se sont épris d’anarchie et de liberté sexuelle.
Un conte (pour adultes) jubilatoire nous décrit les aventures du roi tyran nommé Avatar qui cherche descendance, souverain déjanté autour duquel gravitent d’innombrables personnages tout aussi délirants. Dès les premières pages, on hurle de rire, mais les suivantes, on ne sait plus… seul un cri d’effroi peut échapper de la bouche du lecteur, car les uns passent du meurtre au viol des autres, sans jugement moral puisque tout, dans le royaume d’Archaos, échappe à cette notion. Le tyran est bientôt remplacé par son fils, un sympathique incapable, qui sabote la dictature et fait découvrir aux Archaotes les vertus du désordre. C’est le début d’une période bénie (soixante-huitarde) où les performances sexuelles sont scientifiquement mesurées par la mère maquerelle-en-chef, mais…
Bientôt viennent les questions, les déboires et les doutes. Comme les personnages ne semblent pas avoir goûté le fruit du péché originel, toutes les avanies sont pardonnées dans un raisonnement par l’absurde. Le ton du récit est teinté d’ironie et d’humour noir ou rouge sang, un vrai délice dérangeant pour la morale bien-pensante. Tout arrive en Archaos, même Jésus, alias Jérémias (au début du chapitre 7, troisième partie). « J’ai tant soif de toi, dit-il » à Avanie, son amour, après avoir été secouru par des bergers alors qu’il revenait comme un ombre (d’entre les morts?) le flanc percé.
Démonstration faite que l’art du chaos, peut-être l’anarchie, c’est vraiment le bordel, même dans un Jardin Etincelant, peut-être l’Eden. Le paradis chahuté d’Archaos (parfois très proche de l’enfer pour certains des personnages) finit par s’évaporer comme un rêve dont il reste l’ivresse de sentiments aussi puissants que l’amour, la joie de voir le soleil se lever et l’alouette monter.
Une fois le livre fermé, le lecteur, lui aussi, est expulsé d’Archaos, comme Adam et Eve du Paradis, comme le nouveau-né du ventre de sa mère. Après, il faut prendre la première inspiration, et crier.
Le style est moyenâgeux et sublime, une vraie leçon d’écriture.
La réputation d’écrivain contestataire et iconoclaste ne quittera jamais Christiane Rochefort !
Partie centrale de l’œuvre de Jérôme Bosch, le jardin des délices.